A l’annonce de la mort de l’homme, la tristesse a jeté son voile sur les maisons tunisiennes. Une tristesse digne et calme sans débordements ni déballage d’émotions. Ce sentiment collectif ne se commande pas, il est sincère ou il n’est pas. Les Tunisiens ont continué à vaquer à leurs occupations, le pays ne s’est pas arrêté, les institutions ont fonctionné, un nouveau président intérimaire est aux manettes, la date de la présidentielle anticipée est annoncée déjà. La Tunisie est une Nation. Mais il y avait dans l’air, sur les réseaux sociaux, dans les cafés, dans les lieux publics, cet émoi collectif perceptible sur les visages, dans les yeux embués de larmes, à travers les sourires tristes, les discussions évoquant Béji Caïd Essebssi, le dernier locataire de Carthage, l’homme aux mille vies qui a fini par rendre son dernier souffle.
Si habituellement on n’aime pas trop abonder dans l’idée du père de la nation, quelque part infantilisante, dans ce moment précis, on le constate de fait, nos concitoyens, du moins une grande partie d’entre eux, semblent avoir perdu une autre figure tutélaire après le Zaïm, Habib Bourguiba. Les Tunisiens auraient ressenti une émotion similaire à celle éprouvée lors du décès du père de l’Indépendance. Sauf qu’à l’époque, ils avaient été empêchés de l’exprimer, aujourd’hui, ils le font dans la liberté et le respect de ce grand homme politique, qui, avec ses hauts faits d’armes et ses erreurs a traversé presque un siècle. Le rôle qu’il a joué dans des moments cruciaux de l’histoire récente du pays, son sens de la répartie, son ironie grinçante, ses tours de passe-passe qui agacent ou amusent, toute sa manière d’être lui ont valu ce surnom attendrissant « Bajbouj ».
Aujourd’hui nous lui rendons hommage, en donnant la parole à deux hommes qui l’ont côtoyé de près : Fadhel Jaziri et Hamadi Redissi. Chacun à sa manière, chacun avec ses mots, ils nous font découvrir des aspects peut-être méconnus de ce personnage à « l’intelligence vive et à la mémoire phénoménale ». C’est un début qui laisse présager une suite. Nous devons bien cela au premier chef d’Etat de la Tunisie, élu démocratiquement.
Hella Lahbib